Vous rejetez vos réussites en les attribuant à des éléments extérieurs ? Vous doutez en permanence de vos capacités ? Vous développez une sorte d’habileté à vous déprécier ? Vous ruminez vos échecs en boucle ? Vous êtes habité par un sentiment d’illégitimité ?
Ce fameux syndrome de l’imposteur est corrélé à la peur d’être démasqué. « Quand mon chef s’apercevra que je ne suis pas à la hauteur, il va me licencier », « J’ai réussi parce que j’étais au bon endroit, au bon moment mais ce ne sera pas toujours le cas », « j’ai eu un coup de bol mais la roue va tourner ».
Il est amplifié par la société de la performance, de la persona. Il « faut » être visible partout, s’exhiber. Beaucoup de personnes voulant être parfaites (on rejoint le perfectionnisme), s’épuisent au travail, d’où un risque de burnout, et comme la perfection n’existe pas, elles valident ainsi leur sentiment d’incompétence. D’autres sous-estiment d’emblée leurs capacités et tombent dans la procrastination, les troubles anxieux, le stress ou la dépression.
Un inconfort permanent
Bref, ce syndrome peut freiner la créativité et la « bonne prise » de risque qui favorisent la confiance en soi. Et c’est un cercle vicieux. Il peut même se traduire par une perte d’authenticité, tant on cherche à prouver, à se justifier. Telle Sylvia constamment dans le « faux-self » pour tenter d’être dans le moule et reconnue par ses chefs.
En France, en particulier, où les grandes écoles et les cursus universitaires sont sur-valorisés, la relation à l’échec est stigmatisée. Les autodidactes, ceux qui ont pris des chemins de traverse sans obtenir les diplômes officiels, souffrent de ce symptôme (appelé justement « syndrome de l’autodidacte »). « J’ai monté ma boîte et je donnais le change mais au fond de moi, j’étais pétri d’incertitudes. Très difficile alors de me faire payer au juste tarif ! » explique Manuel.
Mépris de classe
Ce syndrome est vivace chez les « transfuges de classe » (ou névrosés de classes) ceux qui, comme le dit Annie Ernaux « le cul entre deux chaises », évoluent d’une classe sociale à une autre. C’est ce que relate aussi Edouard Louis dans son roman « En finir avec Eddy Bellegueule ». Cette évolution est source de contradictions entre les codes de leur nouveau milieu et ceux de leur milieu d’origine. Ils se sentent parfois victimes d’un certain mépris de classe. D’où le sentiment d’imposture.
On le retrouve chez les personnes issues de l’immigration. Je pense à Malika qui quittait le boulot la dernière tous les soirs, au détriment de sa vie sentimentale. Nous avons découvert ensemble qu’elle était animée par un conflit de loyauté vis-à-vis de sa famille qui s’était « saignée aux quatre veines » pour qu’elle fasse de « bonnes » études et qui nourrissait un désir flagrant d’intégration. « Nous devions être irréprochables pour être acceptés dans notre quartier ».
Impression de décalage
De même, les personnalités atypiques qui ont depuis l’enfance une impression de décalage souffrent de ce syndrome. Sans doute parce que leur manière de fonctionner sort du cadre habituel. Marine recevait de bonnes notes à l’école sans avoir l’impression d’avoir beaucoup bossé. « Je ne le méritais pas ». Et, à l’inverse, Jessica s’appliquait de peur d’échouer et niait également ses mérites. « C’est parce que j’ai travaillé que j’ai de bons résultats ». Dans tous les cas, elles pensaient toutes les deux que les enseignants finiraient par comprendre qu’elles n’étaient pas intelligentes.
la crainte d’essuyer un refus
Aujourd’hui, Marine et Jessica éprouvent toujours ce sentiment. « Lorsque je candidate pour un poste, je suis terrorisée à l’idée de faire le mauvais choix, je me compare aux autres et je trouve toujours des gens qui ont plus d’idées que moi. Bref, je me sens malhonnête » confie Marine. Jessica, elle, se dévalue tellement qu’elle a décliné un entretien dans la société de ses rêves. « J’ai les qualifications mais j’étais trop anxieuse pour me confronter au recruteur. J’ai préféré passer à côté de l’opportunité plutôt que d’essuyer un refus ».
Enfin, à niveau égal, les femmes se sentiraient moins légitimes que les hommes. Elles se conformeraient inconsciemment aux clichés du patriarcat.
La vie perso
Evidemment, le syndrome de l’imposteur peut aussi s’étendre à la vie perso. Une personne qui ne s’aime pas ne se sentira pas digne de l’amour que lui manifestent ses proches. Louise a préféré saboter sa relation amoureuse afin d’éviter la souffrance d’une éventuelle rupture. « J’avais développé un complexe d’infériorité et une jalousie maladive » regrette-t-elle, après sa thérapie. Roxane a discuté pendant des mois avec un homme sur un site de rencontres. Mais elle n’a jamais accepté de « date »: « J‘avais peur qu’il me trouve moins belle que sur les photos et qu’il se dise qu’il y avait erreur sur la marchandise ».
Chagrin d’école
Il s’origine bien souvent dès l’enfance. C’est ce que Daniel Pennac décrit dans « Chagrin d’école ». Laura a été bercé de messages négatifs de la part de ses figures d’autorité. Elle a grandi dans la crainte de ne pas être au niveau exigé par ses parents et de les décevoir en ne comblant pas leurs attentes. D’où une ambition débordante pour éviter le sentiment de honte et le rejet. Effectivement, si des parents projettent des attentes élevées sur leurs enfants ou mettent une distance émotionnelle entre eux, cela peut engendrer une insécurité durable qui se traduira plus tard par ce syndrome de l’imposteur.
Enfin, certains événements ressentis comme traumatisants (rupture, licenciement…) peuvent déclencher également ce syndrome, même à l’âge adulte.
Quelques conseils
Comment s’en sortir ? Faire taire la petite voix qui ne cesse de vous dénigrer ? Apprendre à s’apprécier sans condition, à être plus indulgent envers soi-même ?
Ce symptôme, c’est le revers de la médaille, nous permet de travailler sur notre valeur, de dépasser nos peurs, nos limitations. Lorsqu’on le prend en main, on le surmonte !
- Conscientiser son origine : injonctions parentales, traumatismes, peur de l’abandon, transfuge de classe, personnalité atypique…il peut être pertinent de consulter pour creuser votre histoire, les traumatismes qui ont engendré une faible estime de soi. Plus on comprend nos pensées limitantes, plus on va pouvoir les changer.
- Notez tous les signes de reconnaissances positifs que vous recevez, vos victoires, les circonstances factuelles (félicitations, augmentation…). Afin de déjouer les pensées automatiques (« c’est une erreur d’appréciation de la part de mon chef »), examinez les causes réelles du succès (vos propres capacités, vos innovations…). En clair, doutez du doute. Demandez-vous : mon doute est-il justifié ? Quelles sont mes peurs ? De mal faire ? D’être jugé ? Quel besoin se cache derrière ?
- Apprenez à être un bon parent pour vous-même. Le rapport que vous avez avec vous-même est déterminant. Ecrivez par exemple une lettre relatant vos expériences, vos connaissances, la valeur-ajoutée que vous pouvez apporter aux autres, les obstacles que vous avez traversés.
- Anticipez la réussite, plutôt qu’appréhender systématiquement l’échec. Au lieu de vous dire « Je vais échouer », dites-vous « Je vais faire mon possible pour réussir ».
- Dédramatisez ! Vous n’êtes pas seul à éprouver ce syndrome. Nous savons qu’il touche un grand nombre de personnes à un moment donné de la vie. L’accepter, en parler, permet de s’alléger, de démystifier et de relativiser. N’oubliez pas non plus que la perfection n’existe pas et que vous avez droit à l’erreur. Un collègue vous fait une remarque ? Demandez- vous s’il est lui-même légitime !
- Entourez-vous de personnes qui croient en vous et valident vos compétences professionnelles et relationnelles. Ne tendez pas le bâton pour vous faire battre : ne demandez conseil qu’à des personnes véritablement bienveillantes et dont la critique est constructive. Acceptez les compliments et assumez vos succès en les partageant, en vous félicitant.
- Libérez-vous des injonctions : » Prends sur toi”, « Il faut être courageux”, « Tu peux mieux faire”, “Échouer n’est pas une option”, “C’est pas mal, mais j’attendais mieux de toi”, “Quand on veut, on peut”, “Ce n’est jamais assez”, “Donne-toi du mal, “Allez, va plus vite”, Avec toi, faut pas être pressé ”
- Enfin, comparaison n’est pas raison. Evitez d’envier celui qui a plus d’expérience que vous. Peut-être n’est-il pas excellent partout ! Pourquoi le mettre sur un piédestal ? Pour quelle raison serait-il mieux que vous ? La course au succès est vaine. Erigez – le plutôt en source d’inspiration !