Aujourd’hui peut-être ou alors…

J’hésite, je recule, je diffère, je remets à demain…vous faites tout pour ne pas vous lancer dans une tâche pourtant incontournable pour vous ? Vous procrastinez ! C’est humain. Les personnalités atypiques, en particulier, sont familières de ce fonctionnement.

Cras signifie demain en latin et pro, pour. Pro-cras, c’est pour demain… La procrastination est la tendance à remettre à plus tard ce qu’on pourrait faire le jour même. Souvent, il s’agit de tâches sans valeur-ajoutée, répétitives. « Je suis capable d’abattre des montagnes mais incapable de remplir un formulaire administratif. Ma to-do scotchée sur ma porte d’entrée, je l’ignore honteusement et pourtant, je ne pense être ni flemmard, ni bordélique » confie François. Et oui, le manque de sens est un énorme frein à l’action. Les personnalités atypiques, en particulier, au fonctionnement complexe, ont du mal à effectuer des « missions » simples. (Mais savent rendre simples les « missions » complexes…).  

Allergique à la contrainte

Nous pouvons procrastiner également parce que l’action à accomplir vient de l’extérieur, n’est pas justifiée, pas claire ou que la dead-line est intenable. Le résultat est par définition, incertain. Nous nous méfions tout simplement. Si nous ne sommes pas motivés, si nous sommes allergiques à la contrainte, il est logique de procrastiner ! « J’ai toujours peur que mon manager me teste et me prenne en défaut. Il faut que je maîtrise à fond le sujet pour oser me lancer » confie Eric qui manque certainement de confiance en lui.

Difficulté de choisir

Mais nous pouvons aussi être en mode « procrastination » quand la tâche est justement essentielle pour nous. Si notre pensée est en arborescence, nous faisons tellement de liens entre des sujets différents, il y a tellement de chemins possibles à emprunter qu’il est difficile de choisir. Nous hésitons, nous peaufinons, nous nous comparons, nous multiplions les recherches et analysons les avis divergents pour nous faire notre propre opinion. Notre curiosité est sans limites. «J’ai une thèse à pondre mais il y plusieurs angles passionnants, il y a trop de données,  j’ai tellement d’envies que je me perds un peu » avoue Hugo.

Ne pas être à la hauteur

Pour les perfectionnistes, en outre, passer à l’action, c’est prendre le risque de ne pas être à la hauteur de ses propres espérances, de ses ambitions et surtout d’être jugé par autrui. « J’étudie tous les paramètres d’un problème pour être certain de ne pas me tromper, de ne rien oublier. J’ai tendance à temporiser ». Là, nous touchons l’estime de soi : vouloir absolument atteindre la perfection équivaut souvent à courir après sa propre valeur et… à ne jamais l’atteindre car la perfection n’existe pas. Une bonne façon de se saboter ! « Je mets la barre très haut, je me compare aux autres, je suis déçue du résultat et ensuite, je m’auto-flagelle en me disant que je suis nulle, conscientise Laura. Du coup, maintenant, je préfère renoncer à agir par crainte d’être imparfaite ». 

Pour en savoir plus sur le perfectionnisme 

 Se délester d’un éventuel échec

Car chez les « atypiques », le questionnement est permanent. Très susceptibles, sujets au syndrome de l’imposteur, certains s’écroulent à la moindre remarque. Habitués généralement à réussir sans effort, ils peuvent être déstabilisés par une difficulté inattendue. En différant l’action, il se déleste d’un éventuel échec.

Pour le philosophe Charles Pépin, pourtant « Ce qui donne confiance, c’est de passer à l’acte. (…) Il y a une relation problématique entre procrastination et perfectionnisme. On se ment à soi-même, on se persuade qu’on le fera quand on sera parfaitement prêt. Mais au fond, on n’est jamais parfaitement prêt. La confiance, l’audace, la liberté, c’est d’y aller alors qu’on n’est pas parfaitement prêt ».

Besoin de liberté 

Paradoxalement, les personnes hyperactives  procrastinent aussi. En effet, elles ont parfois du mal à se concentrer sur une tâche. Leur stratégie (inconsciente) est parfois de butiner d’un sujet à l’autre sans rien achever. Remettre à plus tard correspondrait d’ailleurs à un besoin/désir de liberté. « C’est moi qui décide ! ».

L’anxiété peut  engendrer de la procrastination. Nous éludons pour ne pas nous confronter à la réalité ? En ne nous engageant pas, nous avons l’illusion de moins stresser. Mais la réciproque est vraie : la procrastination peut causer de l’anxiété et son cortège de stress, culpabilité, frustration et dévalorisation de soi. C’est un cercle vicieux. « Plus l’échéance approche, plus je m’en veux et plus j’ai peur de l’échec » poursuit Hugo. Parfois l’anxiété est telle que la personne ne trouve pas d’autre solution que l’évitement et donc entretient cette anxiété. « je dois passer un examen de santé mais je crains tellement la maladie et la mort que je ne prends pas rendez-vous. je me sens ridicule mais c’est plus fort que moi » confie Sophie. Terrorisée, elle  nourrit la croyance que les résultats seront automatiquement dramatiques. Il y a de la phobie dans l’air. 

Injonctions parentales

Evidemment, la procrastination peut être corrélée à notre histoire de vie. Celui qui n’a pas été encouragé à passer à l’action par ses parents et qui a été bercé par des injonctions du type « ça va te prendre trop de temps », « tu vas te faire mal », « ce n’est pas prudent », « tu n’es pas capable » etc est tétanisé par la peur de déplaire à sa famille et  ne comprend pas qu’apprendre, agir, c’est aussi se tromper !

La procrastination par les neurosciences  (Source: Cerveau et Psycho)

Le neuro-atypique/hypersensible au boulot

Des pistes :

  • Au-delà du symptôme, réfléchissez aux enjeux inconscients, aux bénéfices secondaires (peur de la réussite…) et aux besoins/désirs (reconnaissance…). Conscientisez vos schémas liés à votre éducation, aux injonctions parentales et décidez de vous en éloigner.
  • Visualisez la récompense une fois l’action achevée, projetez-vous dans la sensation du « travail accompli ». Appuyez-vous sur vos ressentis, votre intuition, votre authenticité, recentrez-vous sur vos points forts, vos talents, vos compétences.
  • Osez « exploiter » votre créativité,   votre curiosité, hors des sentiers battus, en essayant de faire abstraction du regard de l’autre et en acceptant que la perfection n’accepte pas. Cela vous décomplexera face à l’erreur (qui est humaine !)
  • Communiquez pour clarifier les tâches à effectuer et osez les refuser si vous ne vous sentez pas assez compétent
  • Apprenez à gérer vos priorités, à interroger vos motivations. Décomposez vos actions en « petits pas » (découpez les tâches en « tranches d’objectifs » et « tranches de temps »)
  • Reconsidérez vos échecs éventuels comme des opportunités
  • Si vous êtes manager, valorisez les idées de vos collaborateurs, donnez-leur des signes de reconnaissance positifs. Les personnalités atypiques, surtout, ont besoin d’être réassurées.