Continuer de Laurent Mauvignier. Le verbe à l’infinitif donne la tonalité du récit. L’auteur nous propose un voyage initiatique, cinématographique, un roman d’aventure et d’amour.
L’incipit ? Une scène d’action en Asie centrale : des voleurs attaquent une mère et son fils. Un couple les sauvent et les hébergent. S’ensuit la traversée d’un marais, dans lequel leurs chevaux s’embourbent, manquent de mourir.
Tout le long du récit, les mots de l’auteur sont haletants, généreux, débordants, d’une intensité cinématographique. Plans-séquences comme dans un western. Le discours indirect, l’emploi du monologue intérieur restituent précisément les sentiments.
Par des allers-retours entre présent et passé, on comprend qu’un instinct de survie a poussé Sybille à sauver son fils, ado perturbé, et à se sauver elle-même. Elle qui traînait sa déprime, alcoolique et sans désir en France, elle a imposé un projet insensé : un trek à cheval dans les montagnes du Kirghizistan. L’expédition de la dernière chance. L’énergie du désespoir. Le dépaysement et le mouvement permettent-il de se réparer ? De se réconcilier ? De rétablir le lien filial ?
Colère et peur de se diluer en l’autre, de devenir l’autre
« Continuer » est un touchant double portrait qui se dessine à travers le regard croisé du fils sur la mère, et inversement. Regard qui s’adoucit, paradoxalement, au contact d’un monde rude, sauvage, révélant sous la dépression de Sibylle une femme idéaliste capable de soulever des montagnes, et derrière le crâne rasé de Samuel, douceur et sensibilité. Jusque-là, la colère et la peur « de se diluer en l’autre, de devenir l’autre », animaient Samuel. Tenté par l’extrémisme, il idéalisait un père absent et jugeait sévèrement sa mère (pour fuir un climat incestuel ?). Victime de la mésentente de ses parents, d’un jeu pervers inconscient, réduit à un enfant-objet (de chantage).
La beauté du monde a un pouvoir de transformation. « Et c’est comme s’ils voyaient le ciel étoilé pour la première fois, tant il semble vaste, large, profond, réellement infini ». S’occuper des chevaux rapproche Samuel de sa mère « il la regarde avec l’envie de lui sourire – et peut-être même que depuis tout à l’heure il lui sourit vraiment, comme un fils peut sourire à sa mère, avec pudeur et amour, avec une forme de tendresse et de complicité qui se passe de mots parce qu’elle les contient tous dans le secret d’un sentiment qui les dépasse ». Il comprendra que Sybille n’est pas seulement une mère, elle est aussi une femme.
Petit à petit, par bribes, l’histoire de vie de Sybille se précise. Ambitions, amours, drames, déceptions, renoncements.
Lors d’une pause au bord d’un lac, Sibylle contemple le corps de son fils endormi. Elle dessine « une caresse qu’elle n’ose pas faire pour ne pas le réveiller ». Et plus tard, Samuel près de sa mère à l’hôpital n’ose pas la toucher « pas encore » et se contente d’écouter son soufflle. De même, Sybille avait « osé » écouter la musique de son fils ? (Heroes de Bowie). Samuel « ose » lire son carnet de voyage.
La dernière partie du roman est une conclusion/résolution : mère et fils ont conjuré leurs angoisses existentielles. « Aller vers les autres c’est pas renoncer à soi ». Telle est la leçon que Samuel aura comprise et, ainsi, il va murmurer à sa mère son envie de continuer le voyage avec elle.