La culpabilité au placard !

Se sentir coupable, c’est porter un jugement négatif et moralisateur sur nous-même et sur nos actions alors que, bien souvent, personne n’a remarqué notre « faute » ou que tout simplement, nous n’avons pas commis de « faute ». C’est un écho subjectif dans notre conscience qui varie en fonction de notre religion, de notre culture, de notre éducation, de notre caractère. Mea culpa.

En règle générale, la culpabilité est très présente chez l’hypersensible. Elle s’origine sans doute dans la conscience de la différence. Qui n’a pas eu des réflexions blessantes de ses proches sur son atypisme « Tu ne fais rien comme tout le monde », « Tu ne sais pas faire simple », « Tu es trop sensible ». S’ensuivent ce sentiment de décalage et cette peur d’être rejeté. « Qu’est-ce que les autres vont penser ? » murmure la petite voix du saboteur interne. Et voici la culpabilité cognant à la porte du cerveau ! Il se culpabilise aussi de ne pas être complètement dans l’instant présent.  « Je me regarde vivre comme si j’étais dans un film, je me coupe de mes amis, je me réfugie dans ma bulle, mes pensées multiples, mes projets, alors que je suis heureuse pourtant d’être avec eux  » avoue Coralie.  Et c’est l’inévitable frustration.

Nous sommes vraiment coupables de quelque chose ?

Déjà, assumons la responsabilité de nos actes et leurs impacts, sans chercher à nous justifier, avant que le remords nous ronge. Agissons ensuite pour réparer nos éventuelles erreurs. Enfin, tirons les enseignements de ces erreurs pour qu’elles ne se reproduisent plus. Bref, utilisons la culpabilité comme une invitation au changement. Car si nous ne pouvons pas changer le passé ni annuler un acte que nous regrettons, nous pouvons nous réconcilier avec nous même en adaptant nos comportements.

Déni et évitement

La honte n’est pas loin. Nous nous voyons comme une « mauvaise personne », nous nous sentons inférieur. Or, la honte n’est pas constructive. Au lieu de nous encourager à présenter nos excuses ou à réparer les pots cassés, elle nous paralyse et peut nous pousser au déni ou à l’évitement.

D’un autre côté, l’absence totale de culpabilité est problématique. Les magistrats pour mineurs attestent que si de jeunes personnes n’ont aucun sentiment de culpabilité quand ils commettent un délit grave, elles ont moins de chance de de faire un chemin positif de reconstruction d’identité. La culpabilité sert alors à freiner nos pulsions destructrices ou meurtrières, prendre conscience de la souffrance de l’autre ?

Nous nous sentons coupables d’actes qui ne dépendent pas de nous ?

La culpabilité s’étend alors à tout ce « qu’il y aurait à faire » et que nous ne faisons pas. « Je me sens coupable de mon confort alors que des gens meurent de faim et que j’aimerais sauver la planète » confie Astrid, hypersensible, qui endosse en permanence le rôle de la sauveuse. Déjà, posons-nous systématiquement la question « Est-ce que je suis responsable de la situation ? ». Faire la différence entre culpabilité et responsabilité !

Transgression des interdits

Lorsque nous sommes accablés par une lourde culpabilité, nous sommes incapables de profiter de la vie, nous nous punissons nous-même. La notion de « péché » n’est pas loin !

Par exemple, Rebecca s’accorde une demi-heure pour souffler mais se sent prise d’angoisse. Elle sabote ce temps libre en pensant à ce qu’elle « devrait faire » : étendre le linge, appeler sa mère, faire ses comptes… « Le repos est interdit et là, je transgresse cet interdit et je culpabilise ». Il est intéressant de savoir d’où vient cette croyance. Rebecca se souvient que ses parents s’activaient énormément et lui reprochait sa « paresse » lorsqu’enfant, elle « bullait »

Se faire bien voir

La culpabilité peut nous aider à préserver nos relations au risque parfois de ne pas savoir dire « non ». C’est l’histoire d’Eric, salarié hypersensible et perfectionniste qui s’auto-flagelle dès qu’il pense ne pas avoir complètement bien fait son job (syndrome de l’imposteur) et reste au boulot jusqu’à l’épuisement « pour se faire bien voir ».

Très souvent donc, la culpabilité est complètement déplacée. On parle, par exemple, de la culpabilité de l’infirmière : lorsque, comme Rebecca, nous ne pouvons pas aider ceux qui en ont besoin. On parle aussi de la culpabilité de séparation : nous avons l’impression de nous focaliser sur nos besoins aux dépens de ceux de notre entourage, tel ce couple qui part en week-end sans ses enfants. On parle encore de  la culpabilité de déloyauté lorsque nous faisons des choix contraires aux attentes de nos parents et de la société. Ainsi, beaucoup de patients sont tiraillés entre l’envie de plaire à leur famille et leurs envies personnelles. Cela peut engendrer énormément d’anxiété et l’émotion est vite oppressante et lourde au sens physiologique du terme.

 Culpabilité du survivant

On parle enfin de la culpabilité du survivant : nous nous sentons coupable d’avoir survécu à une guerre, une maladie, un accident, un licenciement, alors que les autres non pas eu cette chance. Sur la question de la responsabilité collective, abordée notamment par Karl Jaspers dans « La culpabilité allemande » après la guerre, ouvrage dans lequel il parle de tous ceux qui ont survécu en assistant impuissants à des actes injustes et criminels, certains philosophes proposent de ne pas faire prendre en charge la responsabilité collective par l’individu. Celui-ci est seul responsable de ce qu’il aurait pu faire et n’a pas fait.

Responsabilité et société

D’ailleurs, c’est souvent la société qui engendre la culpabilité. Elle induit des interdits nécessaires (le surmoi, la morale) et affirment le caractère répressif des institutions. C’est le principe de plaisir contre le principe de réalité. Cette dualité  peut entraîner de l’agressivité. Nous introjectons l’agressivité en angoisse. Evidemment, elle est aussi engendrée par la religion. « C’est ma faute, c’est ma très grande faute ». Enfants d’Adam, d’Eve, et même de Caïn dont les parjures nous condamneraient encore. De là, une culpabilité liée au fait même d’exister, d’être un homme, si faible et limité face à Dieu…

La culpabilité « écran »

Très tôt, un enfant peut se sentir coupable en particulier lorsqu’il est le spectateur de drames familiaux. « Quand mes parents se disputaient, je pensais toujours que c’était à cause de moi. Je me sentais nulle, incapable d’aider » confesse Ludivine, véritable éponge à émotions. Certains psychanalystes comme Moussa Nabati expliquent que l’enfant est confronté à un “impossible interne”, c’est-à-dire qu’il il se trouve impuissant à écarter, à neutraliser un mal le touchant lui ou ses proches.

Parfois, notre culpabilité est une culpabilité « écran » : ce dont nous nous sentons réellement coupable s’est joué dans notre passé ou dans celui de nos ancêtres (culpabilité transgénérationnelle). La culpabilité de l’enfant peut être même le symptôme de secrets de famille. Ce sont les fameux fantômes chers à Bruno Clavier. Nous avons refoulé les  faits et il n’en reste que des culpabilités dont l’objet s’est déplacé. Pour Philippe Grimbert, la culpabilité inconsciente se traduit fréquemment par la crainte d’une catastrophe imminente. Nous n’avons pas le droit d’éteindre heureux.

Retrouver la scène traumatique

Ce sentiment s’enracine fréquemment dans les  phases de notre développement – le sevrage, l’apprentissage de la propreté – (pouvant entraîner des troubles alimentaires ou des constipations psychogènes) ou de la phase oedipienne (je suis coupable d’avoir désiré mon parent du sexe opposé). En retrouvant la scène traumatique, nous pouvons comprendre de quoi nous nous punissons vraiment.

Rendre ses responsabilités à l’autre

Le sentiment de culpabilité peut provenir d’un transfert de responsabilités. Lorsque nous ressentons de la culpabilité vis-à-vis de quelqu’un, c’est parce que nous portons souvent un « sac à dos » qui ne nous appartient pas. C’est particulièrement vrai pour les hypersensibles qui font passer les besoins et les problèmes des autres avant les leurs. Or, il faut savoir s’occuper de ses propres fardeaux en priorité. Nous n’avons pas à porter systématiquement ceux des autres ! Ai-je vraiment le pouvoir et le devoir d’agir sur ce problème ? Si ce n’est pas le cas, rendez ses responsabilités à l’autre !

Volonté de contrôle

Avez-vous remarqué que certains préfèrent se sentir coupables qu’impuissants ? La culpabilité cacherait alors une volonté de contrôle, de « toute puissance ». Penser que l’on est responsable d’autrui vient d’une inflation de notre sentiment de responsabilité.

Et savez-vous que nous critiquons chez les autres les comportements que nous nous interdisons ? Si vous réfléchissez aux critiques que vous formulez à l’endroit de votre entourage, vous découvrirez vos propres interdits. Un exemple ? Jade critique le côté extraverti de sa meilleure amie. Il est fort à parier qu’elle s’interdit l’extraversion et une part d’elle, plus ou moins inconsciente, a envie, justement, d’extraversion. Elle a d’ailleurs le courage de se demander « Quelles sont les injonctions familiales à propos de l’extraversion ? En quoi est-ce mal d’être comme cela ? En quoi est-ce bien ? ». Elle conscientise alors qu’elle peut « lever l’interdit » et choisir d’être extravertie.  Il est temps pour elle de devenir adulte et de se détacher du désir parental !

 Chantage affectif

Enfin, certains se servent de la culpabilité pour échapper à leurs responsabilités, sous forme de chantage affectif. « Tu ne vas pas à en rajouter, je me culpabilise assez ! », « avec tout ce que je fais pour toi, tu n’as pas le droit d’être malheureux », « cela me rend malade quand tu ne réussis pas à l’école ».

Pour Paul Ricoeur, en revanche, la culpabilité est une prise de responsabilité, dans le sens de « répondre à » et « répondre de ».  Cela rejoint le concept d’imputation morale prôné par Kant. « Prendre la mesure du tort infligé à un autre, et mettre ce tort en relation avec moi comme auteur, fait de la culpabilité un sentiment sain et positif. » Autrui serait la clé pour ne pas céder au repli sur la seule culpabilité.

Culpabilité et maladie

Freud avait souligné que le sentiment de culpabilité peut être corrélé à la maladie. La personne se punit par la souffrance. Elle ne sent pas coupable mais malade. « La satisfaction du sentiment de culpabilité inconscient est peut-être le poste le plus considérable du bénéfice de la maladie ». Plus généralement, il a postulé que la culpabilité se traduit par des symptômes comme la névrose obsessionnelle, l’autodépréciation mélancolique, la résistance à l’approche de la guérison et même le recours à une conduite criminelle par désir de se voir infliger un châtiment appelé « masochiste moral ». Il est essentiel que nos patients malades fassent le lien entre culpabilité et maladie. « Au fait, de quoi vous vous punissez ? »

L’objet du désir

Ajoutons que la culpabilité est en lien avec le désir. Pour Lacan, en particulier, il n’y a pas de désir sans interdit ni d’interdit sans désir et la culpabilité tient à la structure même du désir..

Et si nous conservions alors un peu de culpabilité pour rester un « animal social » et entretenir notre désir ? Cela ne nous empêchera pas de nous occuper avant tout de nos problèmes personnels, ceux sur lesquels nous avons le pouvoir d’agir ? Apprenons à discriminer la culpabilité moteur de progression de la culpabilité mortifère. En prenant l’entière responsabilité de nos actes, sans se croire responsable de l’autre, nous nous débarrasserons d’un trop plein de culpabilité. Et toujours se demander « A quoi me sert cette culpabilité ? Que se cache-t-il derrière ? »