Les ruminations

Un rendez-vous de travail qui se passe mal, un ordi qui plante, une dispute avec un ami ou plus grave, l’annonce d’un licenciement, d’une maladie, d’un décès, autant de faits quotidiens ou tragiques qui entraînent des idées fixes, des ruminations.  Elles surviennent souvent après un choc émotionnel, nous hantent, deviennent des pensées automatiques qui tournent en boucle dans notre tête. Les profils atypiques, parce qu’ hypersensibles, hyperogitateurs et perfectionnistes, sont  de bons candidats à cet « overthinking ».

Nous avons, parait-il, plusieurs dizaines de milliers de pensées par jour. « beaucoup de nos contemporains ont le sentiment de « penser trop », mais en réalité, ils sont surtout la proie de pensées incontrôlables » explique Fabrice Midal, philosophe et fondateur de l’école occidentale de méditation. Et il ajoute » ces avis, jugements nés à foison dans notre société du commentaire, entravent l’expérience directe qu’ils pourraient avoir des événements. « Ça parle » sans cesse en eux, et c’est cet envahissement passif qui est dommageable ». Ainsi, les ruminations, sont particulièrement épuisantes, inutiles et pénibles. D’ailleurs, le terme même de « ruminations » a des connotations négatives. Et plus nous ruminons, plus nous sécrétons du cortisol et moins nous pensons clairement.

Pensées sans solutions 

Notre cerveau a toujours une bonne raison de nous  proposer une pensée. Pour notre survie, il attire simplement notre attention sur un fait. Se poser des questions, interroger le réel est d’ailleurs légitime et salutaire. Les ruminations ,elles, se distinguent des simples pensées, du doute, de l’inquiétude et du regret par leur caractère répétitif et l’absence de solutions, d’actions. Elles engendrent des ressentis désagréables :  nous revoyons le visage contrarié de notre interlocuteur, nous élaborons les réponses que nous aurions pu faire, nous déplorons les éventuelles conséquences, nous nous inquiétons pour l’avenir, nous nous focalisons sur un événement passé.

Notons que les surefficients mentaux, zèbres, HP, hypersensibles, bipolaires, tous les atypiques qui ont une pensée en arborescence, tiraillés par tous les choix possibles, cogitent sans cesse, coupent les cheveux en quatre, et sont sans doute plus enclins aux ruminations que les « normaux-pensants ».

Désir de sécurité

En général, les ruminations surviennent quand nous nous sentons menacés et sommes donc en état de défense. L’émotion associée est la peur qui a pour corolaire la fuite. En ressassant, en imaginant le pire, en se culpabilisant, nous entretenons cette peur comme  nos représentations, notre cinéma intérieur.  Ainsi, nous avons l’habitude de rajouter à ces ruminations initiales une nouvelle couche de ruminations qui créent de la détresse, de la honte, de la lassitude, de la colère…C’est la double peine. Nous jugeons durement nos ruminations, nous essayons de les masquer, nous nous disons « je ne devrais pas », « Les autres ne sont pas comme moi », « Je suis nul »… Les craintes, le ressentiment s’auto-cultivent. Nous envenimons le problème. Résister, c’est persister ! Derrière la peur, l’anxiété, le contrôle se niche un désir de sécurité. Se demander alors « Qu’est-ce que je peux ajouter à ce que je fais déjà pour mieux nourrir ce désir ? »

Quelle histoire me racontent-elles ? 

Lorsque ces ruminations se présentent, nous pouvons  simplement nous interroger « Qu’est-ce que j’ai envie de faire d’elles ?  » Peut-être,  les observer avec neutralité, au lieu de les éviter, de les chasser. Quelle histoire me racontent-elles ? Est-elle utile ? Me fait-elle avancer ? Qu’est-ce que j’ai plutôt envie de croire afin de rebondir et passer à autre chose ? Autrement dit, nous pouvons  les accueillir jusqu’à ce qu’elles ne nous gênent plus. Exactement comme en médiation, cela permet de prendre de la distance. Ensuite, nous pourrons choisir une autre narration, remplacer les scénarios anxiogènes par des meilleurs. Enfin, il est bon également de diriger notre énergie vers une activité créative ou sportive.

Penser pour ne pas ressentir ?

Perso,- il faut que je creuse le sujet -, je pense que ces ruminations nous permettent inconsciemment de faire barrage à nos angoisses existentielles, nos traumatismes, nos blessures refoulées, enkystées dans notre cuirasse musculaire. L’intellectualisation comme rempart à la pulsion ? C’est peut-être la solution que nous avons trouvée, pour le moment, pour annihiler nos sensations. Oser se demander où se trouve physiquement l’anxiété, respirer à cet endroit là, laisser surgir les images et les souvenirs pourrait être une piste. Réconcilier l’esprit et le corps. Comme toujours. Encore et en corps.