Au boulot, vous avez le sentiment d’être inutile, d’effectuer des tâches dépourvues d’intérêt ? Du coup, vous vous désinvestissez surtout si votre job va à l’encontre de vos valeurs ou de vos idéaux ? Il n’y a plus de jus dans l’open space !Jusqu’où peut-on faire semblant de bosser quand il n’y a pas de sens ?
Le terme brown-out signifie, mot à mot : baisse de courant. Et par analogie, baisse de jus, d’entrain dans son job. Cette pathologie est cousine germaine du bore-out, l’ennui au travail. À l’inverse du burn-out, elle ne se manifeste pas de façon violente.
Déjà en 2013, l’anthropologue américain David Graeber dénonçait l’invasion des bullshit jobs (« boulots de merde ») : des emplois rongés par des activités aussi chronophages qu’inutiles, notamment dans les métiers de services. Marc Estat, auteur de l’ouvrage « Néantreprise » évoque le quotidien absurde, les réunions insipides, le jargon corporate grotesque. Dans « Boulots de merde! Du cireur au trader, enquête sur l’utilité et la nuisance sociales des métiers », Julien Brygo et Olivier Cyran dénoncent, eux, les méfaits du « lean management » qui ne laisse plus aucun répit aux salariés.
Sentiment d’aliénation
« je travaille en pilotage automatique, sans aucune motivation. Mes tâches sont répétitives. Je me sens placardisée. Même les stagiaires ont un taf plus exaltant ! » se plaint Carine. Son travail est devenu une corvée. Son manager ne lui donne que des « usines à gaz » à gérer. En réunion, elle se replie sur elle-même. « Du coup, je me jette sur des sucreries en fin d’après-midi et je pars avant tout le monde ». C’est le cercle vicieux : moins elle est motivée, moins on lui donne de responsabilités.
Même son de cloche du côté de François « je ne comprends pas la finalité de mes missions d’où un sentiment d’aliénation ». Il a perdu le sens de l’humour. Un rien le fait sortir de ses gongs. « J’ai du mal à dormir et ma vie de famille s’en ressent ». Parfois, il a l’espoir de se voir confier un dossier intéressant… mais cela ne vient pas.
Honte, colère, tristesse
Serge est enseveli par les tâches secondaires qu’il doit accomplir et qui n’ont rien à voir avec sa fonction d’expert. Il ressent de la honte, de la colère et de la tristesse. De l’incompétence aussi « je ne suis pas formé pour cela, je me sens ridicule et empoté ». Je l’encourage à prendre rendez-vous avec sa DRH pour lui démontrer qu’il serait bien plus productif s’il pouvait se recentrer sur des missions à valeur-ajoutée relevant de son expertise et de ses compétences. Même si cela ne mène à rien, il aura au moins la satisfaction d’avoir tenté. Défendre ses valeurs est primordial. Il doit aussi accepter d’évoluer, de se former pour s’adapter à de nouvelles contraintes professionnelles. Et surtout, ne pas perdre confiance. « Votre boulot est incompatible avec votre personnalité, cela ne remet pas en cause vos talents ».
Réactiver ses blessures
Ce mal-être engendre fatigue, irritabilité, dépression, insomnie. En outre, le salarié désengagé perd l’estime de soi, surtout, si les collègues de l’open-space semblent s’éclater. Ne pas « produire » quelque chose d’utile est dévalorisant, voire dégradant. De quoi réactiver les blessures* ! « Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Je me sens toujours rejeté, humilié, abandonné. C’est injuste » se plaint Serge. Je lui demande : « Comment pourriez-vous faire pour ne plus être dans la répétition ? »
Elodie a décidé de lâcher son travail de cadre sup dans la banque, pourtant très bien rémunéré. Coup de tête ? Instinct de survie ? Principe de plaisir contre principe de réalité ?
Le syndrome de l’agenda vide
Mathilde a longtemps pesé le pour et le contre avant de se « libérer ». C’est la crainte du syndrome de l’agenda vide. « J’ai peur de me retrouver seule chez moi ». Nous avons travaillé sur son repositionnement. « Qu’est-ce qui est vraiment important pour vous ? » Un jour, la pyramide de Maslow* s’est inversée : l’accomplissement de soi est devenu aussi important que ses besoins physiologiques ou ses besoins de sécurité. Un projet s’est dessiné, puis concrétisé : elle a engagé une procédure d’adoption, mettant sa vie professionnelle entre parenthèses.
Beaucoup de personnes se reconvertissent dans le développement personnel, l’artisanat ou dans la création d’une start-up. L’herbe est plus verte ailleurs. Cela s’appelle « le courage d’être soi ».
Quelles solutions pour faire face ?
- Efforcez-vous de provoquer des instants positifs dans la journée : un déjeuner avec un collègue, une séance de sport, un coup de fil à un ami entre midi et deux.
- Demandez-vous quels sont les bénéfices secondaires de votre job : le salaire, le besoin de sécurité, les horaires…
- Développez à l’extérieur votre créativité, votre désir d’innover, de recevoir, de réseauter…
- Essayez la sophrologie, la méditation, le yoga, apprenez à lâcher prise, à prendre du recul. Un psychothérapeute ou un coach peuvent vous aider.
- Envisagez une mobilité interne ou externe ou créer sa propre boite.
*Le psychologue Abraham Maslow distingue cinq grandes catégories de besoins. Il considère que la personne passe à un besoin d’ordre supérieur quand le besoin de niveau immédiatement inférieur est satisfait. En résumé :
- Les besoins physiologiques (faim, soif, sexualité,…).
- Le besoin de sécurité
- Le besoin d’appartenance
- Le besoin d’estime
- Le besoin de s’accomplir
*La thérapeute Lise Bourbeau parle des 5 blessures de l’âme :
- Le rejet,
- l’abandon,
- l’humiliation,
- la trahison,
- l’injustice.