« Mûrir, c’est trouver sa place dans le monde » (Emmanuel Mounier).
Pour se sentir exister pleinement, en famille, dans le couple, au travail, dans un groupe d’amis, il est essentiel de se sentir à sa juste place. Il ne s’agit pas de la « garder » contre vents et marées mais d’avoir toujours une place dans laquelle nous nous sentons bien et accepter d’en changer, au fil du temps, de se dé-placer. Sortir de sa posture d’Enfant et devenir un Adulte responsable.
Déjà, être à sa place dans l’espace ne va pas de soi. Comme l’explique Claire Marin, dès la cour de récréation, par exemple, les garçons et les filles n’investissent pas les mêmes endroits.
D’ailleurs, pour la philosophe, être à sa place relève d’un sentiment intérieur plutôt que d’une position géographique. Changer de lieu pour se révéler, procède souvent de l’illusion. Il y a néanmoins un plaisir du dé-placement : investir un nouvel espace peut engendrer des idées neuves, nous dépayser.
Entre sûreté et liberté
Nous naviguons toujours entre l’envie d’ancrage (la place que nous avons depuis toujours) et l’envie d’ailleurs (une nouvelle place). Entre sureté et liberté. Et de toutes façons, nous pouvons toujours choisir de nous échapper, par l’imagination. Eloge de la fuite !
Virginia Woolf évoque « la chambre à soi », un espace qui nous autorise à être nous-même, un espace de « temps à soi ». Un lieu à part, intime. Annie Ernaux, auteur justement de « La place » parle de « vrai lieu » qui est une manière de se sentir authentique.
Le faux-self
Les « people pleasure », les hypersensibles, en particulier, en décalage constant avec leur environnement, adoptent une posture de « faux self », mimétique pour plaire à tout le monde. Etre dans le moule, ne pas faire de vagues semble, paradoxalement, leur façon d’être à leur place. Ils ne prennent pas position, acceptent des postes trop étriqués, aiment jouer les sauveurs. Certains encore sont convaincus qu’ils ne méritent pas leur place et qu’un autre la mérite davantage. Ils se vivent comme des imposteurs, s’excusent de tout à tout bout de champ. Ils sont capables de refuser un compliment, une promotion. Perfectionnistes, procrastinateurs, ils ne se jugent jamais à la hauteur et s’auto-sabotent. Certains enfin jouent indéfiniment le même rôle (le leader, l’amuseur, la victime…). Au risque qu’un jour, leur carapace se craquelle : ils ruminent leurs frustrations, explosent et sont capables de jeter le bébé avec l’eau du bain.
Les liens d’attachement, l’éducation
La difficulté de prendre sa juste place procède très souvent des liens que le bébé crée (ou pas) avec ses figures d’attachement. S’il se sent en sécurité, aimé, il trouve naturellement sa place. Celui en revanche dont le lien d’attachement est insécure (mère en deuil, en dépression…), peut se sentir rejeté, abandonné. Il n’est pas à la « bonne place ».
En grandissant, en développant ses capacités d’empathie, vers 3/ 4 ans, l’enfant réalise que les autres pensent et agissent différemment de lui. Il doit alors s’affirmer dans sa famille, au sein de son éventuelle fratrie. Cela se fait harmonieusement lorsque ses parents sont attentifs à ses besoins. Il se sent reconnu, il mérite qu’on lui porte de l’attention. Flexible, il apprend à s’adapter, à passer aisément d’une place à l’autre. Adulte, il aura en principe confiance en l’autre à moins qu’il ne rencontre des personnes « insécures » qui le mettent en difficulté (conjoint ou manager toxiques…) mais en général, il tirera son épingle du jeu.
Lorsque sa famille est dysfonctionnelle, l’enfant peut être « triangulé » : les parents le font entrer dans leur relation, l’amalgame à leur pathologie. Il peut se sentir « mauvais », sans valeur. Inconsciemment, il sait qu’il n’est pas à sa place. Il va alors soit s’opposer, soit se dévaloriser et valider ainsi les jugements négatifs portés sur lui. Adulte, il peut se figer dans cette posture qui devient un comportement automatique.
Les freins
Plus généralement, une éducation autoritaire et son cortège d’injonctions (« Reste à ta place ! »), le culte de la perfection, un frère ou une sœur qui captent toute l’attention, un sentiment de honte ambiant (souvent corrélé à des secrets de famille), un sentiment d’illégitimité (névrose de classe, par exemple), les loyautés familiales comme la crainte de trahir son milieu d’origine, un parent qui nous a considéré comme son médicament (l’enfant soignant…), il y a plein de raisons ancrées dans nos névroses familiales qui nous empêchent de prendre notre juste place.
Cependant, parfois, la place que nous occupons malgré nous va orienter agréablement la suite de notre parcours. Elle nous oblige à sortir des sentiers battus, à évoluer d’un monde à l’autre. Il faut une violence symbolique, insolente, pour s’extirper de son milieu. Pérec le résume parfaitement « Vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner. Prendre le risque de changer de place, c’est prendre celui d’être balloté par des vents contraires et d’échouer en terra incognita, prendre le risque de découvrir et d’être surpris par ce qu’on découvre ».
Se libérer de ses schémas
Prendre sa place, c’est adopter une posture d’adulte, savoir dire non, s’extirper de sa partie « enfant », oser choisir un autre chemin, d’autres valeurs que celles rêvées pour nous par les autres.
Repérer nos comportements répétitifs, identifier leur origine, est un premier pas pour s’en libérer. Avec l’aide de votre thérapeute, vous pourrez démonter la mécanique de vos croyances et poser des actes qui petit à petit deviendront de nouveaux comportements, plus adaptés à l’ici et maintenant. S’entrainer à donner votre avis, à réfuter un argument, à dire non mais aussi en s’appuyant sur :
- La métaphore de l’enfant intérieur afin de ressentir de l’empathie pour nos parties blessées, apaiser nos blessures traumatiques et faire surgir davantage l’Adulte en nous.
- La Gestalt à travers la « chaise brûlante » : faire dialoguer nos différentes parties (enfant/parent ou corps/cœur/esprit)
- La matrice de la thérapie ACT et s’engager à faire des petits pas en faveur de nos valeurs, notre raison d’être.
- La cartographie de la Logique Emotionnelle : agir en conscience, ralentir, pour mieux répondre à ses besoins/désirs de sécurité, d’identité et de sens.
- L’Analyse Transactionnelle : noter les signes de reconnaissance positifs que les autres nous témoignent et en demander
- La « ligne de vie » inspirée de l’ICV : noter les grandes étapes de notre existence et repérer les rôles que nous avons endossés pour être acceptés et trouver comment les dépasser