De l’intériorisation à l’exposition : le post-confinement

 

A la veille du 11 mai, les interrogations refont surface parmi mes patients, pratiquement tous hypersensibles. La perspective de sortir de leur bulle les inquiète. Le confinement était imposé, les règles étaient strictes, il s’agissait de se replier, en attendant que le virus meurt. Le déconfinement est beaucoup moins cadré : nous allons devoir nous exposer davantage et le virus, semble-t-il, est toujours là !

Paradoxalement, après la phase de sidération, certaines personnes hypersensibles ont vécu le confinement comme rassurant, confortable. Ceux qui se sentaient décalés, marginaux parce que sans emploi ou en dépression, ont retrouvé une certaine légitimité. « Je suis comme toute le monde » ou « le monde vit ma réalité ». Sarha était plus sereine, loin du regard des autres, de leurs sentiments, de leur énergie. Elle semblait se  ressourcer plus facilement, moins épuisée par le « faux self ». Voir mon article

Puiser dans ses propres ressources

Et si les extravertis, au début, souffraient du manque de contacts extérieurs, de rencontres, se sentaient «enfermés », privés du toucher (prendre ses amis dans les bras), certains ont appris à puiser dans leurs propres ressources, à se recentrer. « Jamais j’aurais pensé être capable de rester seule chez moi pendant plusieurs semaines. J’ai  affronté ma blessure d’abandon et n’ai pas eu besoin de quémander l’amour de l’autre pour me divertir. Quelle leçon de résilience ! » confie Eléonore. Et Eric explique « j’ai enfin lâché prise par rapport à certaines contraintes, à mon idéal de perfection. Du coup, je me concentre sur l’essentiel, sans culpabilité ». Aline, hyperactive, craignait de s‘ennuyer. Finalement, elle a profité du « temps suspendu » pour réfléchir, organiser l’avenir, s’engager dans une association qui défend des causes qui lui tiennent à cœur. Jessica a osé se lancer dans l’écriture et Ludivine a découvert le yoga et la méditation. Se connecter à ses valeurs, ses talents, son corps, ses émotions ? La meilleure façon de vivre son hypersensibilité, de la sublimer, de renouer avec la confiance en soi.  

 Des réactions ambivalentes

Pour calmer les pensées incessantes, les ressentis intenses, certains, cependant, ont adopté des conduites addictives. Grégoire avoue « je me suis mis à boire tous les soirs, j’ai repris la cigarette, maintenant, il va falloir réagir ». La privation de libertés fondamentales (voir sa famille, inviter ses amis, partir en week-end) a quand même engendré des frustrations. Le déconfinement risque de favoriser les comportements régressifs, excessifs, pulsionnels, chez l’hypersensible qui ne connaît pas la demi-mesure : sur-consommation, besoin de faire la fête à outrance – une  façon de compenser le manque – ou, au contraire, repli total sur lui-même.

Syndrome de glissement, syndrome de l’imposteur

Pour certains célibataires, en plus, le confinement a été « thanatophore », il a réveillé des angoisses de mort, de séparation. Isolé, le solo peut se négliger, ne plus investir l’espace/temps, c’est le syndrome de glissement. Stéphanie s’est inscrite sur un site de rencontres. Elle a discuté avec des hommes, mais, de déception en déception, ne pouvant pas les rencontrer « en vrai », elle a perdu pied. « Je mangeais peu, dormais peu, n’avais pas l’énergie de prendre ma douche ou de me changer « .

Pour ceux qui n’avaient pas  la possibilité de télétravailler, le manque d’activité professionnelle a  pu générer beaucoup de tristesse. En outre, si l’oisiveté, chez certains, a boosté l’introspection ou la créativité – le vide créateur – elle a pu, chez d’autres, accélérer les ruminations et le syndrome de l’imposteur. « J’ai été payé à ne rien faire, je ne me sens pas légitime » déclare Alix.

La quête de sens

L’absence de projets, à l’heure du déconfinement, va peser très fort. Nous n’avons toujours pas de visibilité sur les conséquences sanitaires et économiques de la crise, nous ne savons pas si nous pourrons partir en vacances cet été, trouver un job ou en changer avant la rentrée. Et le risque du reconfinement n’est pas exclu ! Sans projets, pas de sens. L’hypersensible est en quête de sens !

Se reconfronter aux bruits, aux odeurs, aux émotions des autres

L’hypersensible est hyper-empathique. Se déconfiner, c’est se reconfronter aux bruits, aux odeurs, dans les transports, l’open-space, aux émotions des autres, si envahissantes, au besoin d’être sans cesse « à la hauteur ». Le port du masque, la fameuse « distanciation sociale » sont très anxiogènes. « Nous allons sourire avec les yeux » se rassure Audrey. Le « retour à la vie » va représenter, à nouveau, une rupture dans le quotidien.

La cocotte-minute explose

Nous risquons de repasser par les étapes du deuil évoquées lors du confinement. Nos repères, nos habitudes ont été malmenés, nous nous sommes sur-adaptés pour y faire face, avons refoulé nos émotions, vécu au jour le jour, et, là, à la veille de la sortie, la cocotte-minute explose. Nous sommes épuisés mentalement. « Je pleure beaucoup depuis quelques jours. Je craque. J’ai aimé ce confinement et en même temps, je me sens vulnérable, fragile aujourd’hui » exprime Thibaut.

Car s’ils ont donc, globalement, bien vécu le confinement, les hypersensibles, ne serait-ce qu’inconsciemment, ont ressenti l’angoisse ambiante. Souvent, pour supporter la réalité, surmonter une épreuve, nous nous mettons en pilote automatique, en clivage. Et c’est plus tard, comme une bombe à retardement, à la faveur d’un nouvel événement, que les cicatrices se rouvrent. C’est le stress post-traumatique.  

Les peurs

Comme tout le monde, les hypersensibles ont peur de contacter la maladie (nosophobie) et de l’effet « rebond ». Ceux qui n’étaient pas hypocondriaques peuvent le devenir. Après la peur de l’enfermement, lors du confinement, certains virent « agoraphobes », craignent de sortir de chez eux, d’utiliser l’ascenseur ou de  de croiser du monde. Il va falloir adopter de nouvelles façons de fonctionner dans les espaces publics, les magasins, les écoles, suivre des règles sanitaires strictes. Ces peurs peuvent se raisonner en s’exposant de façon très graduelle, en faisant chaque jour un petit pas. Le stress peut redescendre. Aussi, il est essentiel de  s’écouter, de choisir quand nous serons prêt à affronter la rue, les transports, et, une fois dehors, pour se rassurer, oser demander à ses amis, voisins, collègues de respecter les « gestes barrière ».

L’infantilisation 

Nous pouvons ressentir les injonctions, paradoxales d’ailleurs, des Autorités comme infantilisantes. Et ceux qui se sont confinés chez leurs parents ressentent, là encore, cette infantilisation (réfugiés dans le cocon familial, ils ont rejoué parfois leur enfance ou leur adolescence, et hop, là, ils doivent recouper le cordon !).

L’autre, support de notre angoisse

Lorsque nous nous vivons comme impuissants, abusés, nous pouvons devenir méfiants, agressifs, violents. Ainsi, il est aisé de trouver un bouc-émissaire à notre colère : le voisin qui n’a pas mis son masque, celui qui l’a mis et nous rappelle la présence de la « maladie », le Gouvernement, le patron qui me fait revenir au travail. Nous devons comprendre que l’autre est le support de notre propre angoisse et non le responsable.

Réinventer le futur

Même si nous n’avons pas de prise sur la réalité, même si nous ne nous sentons pas en sécurité, essayons peut-être de réfléchir aux changements que le confinement nous a permis d’apercevoir. Qu’avons-nous découvert de précieux ? Qu’est-ce qui nous a fondamentalement manqué ? De quelle vie avons-nous envie maintenant ? Comment allons-nous réinventer notre propre futur ?

Note: les prénoms utilisés sont fictifs. Je ne révèle jamais l’identité de mes patients