Archives de catégorie : vu et lu

trois visages de Jafar Panahi

3 visagesDrame écrit, réalisé et joué par Jafar Panahi. En  sélection officielle au Festival de Cannes, il a reçu le Prix du scénario.

La comédienne iranienne Behnaz Jafari, dans son propre rôle, reçoit via instagram  la vidéo (première mise en abyme) d’une jeune fille de la campagne iranienne  qui se pend en direct dans une grotte, métaphore de l’obscurité/l’obscurantisme. Motif : ses parents ne veulent pas qu’elle devienne actrice. Vraie vidéo ou manipulation ? Un brin borderline, Behnaz demande à son ami Panahi, le réalisateur lui-même,  de l’accompagner sur le lieu de la tragédie.

Un peuple schizo

Ils découvrent qu’il s’agit d’un mensonge, un appel au secours. L’ado ne s’est pas suicidée mais elle est frustrée, empêchée de vivre sa vocation, exactement comme Panahi, interdit de tourner dans son pays.  Dénonciation d’un peuple schizo qui aspire à la liberté tout en imposant au pouvoir des censeurs fondamentalistes ?

Enkystés dans une malédiction

 Un taureau couché en travers de la route (symbole de virilité, thème récurrent) empêche  nos deux célébrités de rentrer chez eux. Coincées dans ce village, comme enkystés dans une malédiction, ils vont l’arpenter et faire d’improbables rencontres.  L’occasion d’évoquer l’Iran, ses traditions, sa méfiance vis-à-vis des urbains, sa dramatique religion, son régime patriarcal mais aussi l’hospitalité  de certains habitants. En arrière-plan,  une vision de la place des artistes dans ce pays. Certaines scènes sont truculentes : les  villageois reconnaissent la comédienne mais s’en détournent quand ils comprennent qu’elle est progressiste ; un vieux père  leur confie le prépuce, conservé dans du sel, de son fils pour le remettre à un acteur.

3 générations

Le récit prend son temps, délicieusement. Et le réalisateur rend hommage ça et là à son mentor, Kiarostami, dont il fut l’assistant (Où est la maison de mon ami ou  Le Goût de la cerise). Il  dépeint en particulier 3 visages, 3 femmes, 3 beaux portraits, 3 générations  : l’héroïne, la jeune fille dont on a coupé les ailes, et une vieille actrice du temps du shah,  bannie et recluse, qui danse encore, pourtant, dans l’intimité de sa modeste cabane et dont on ne verra jamais le visage, d’ailleurs.

Voir la bande-annonce, cliquez ici

Everybody knows

everybody-knowsEverybody knows  d’Asghar Farhadi.  On se croirait dans un Almodovar  trop sage : même casting, même Espagne.

Laura (Penélope Cruz), exilée à Buenos – Aires, se rend avec ses deux enfants sur sa terre natale pour les noces de sa sœur. Les retrouvailles avec sa famille et avec Paco (Javier Bardem) – on comprend vite qu’il s’agit de son ex –  sont  simples et chaleureuses. Une parole, un regard et les liens se renouent naturellement.

L’amorce, muette, préfigure pourtant un drame. La  fête qui suit est radieuse,  ensoleillée. Le spectateur « vit »  la séquence du mariage comme s’il y était. Rires, chants, danse. Une carte postale.

La jeune génération symptôme des fantômes des générations au-dessus

Et le drame, effectivement, arrive. Irène, fille de Laura, est kidnappée. Comme dans toute trame psychogénéalogique, la jeune génération  est le symptôme  des failles, des non-dits, des fantômes des générations au-dessus. Ce motif est récurrent dans la filmographie de Farhadi. On pense à Une séparation, Le passé.

Les secrets de famille éclatent au grand jour : le mari de Laura n’est pas le riche architecte fantasmé par ceux qui sont restés au pays,  il est alcoolique, dépressif et au chômage. D’ailleurs, il  n’est même pas le père de sa fille car le père, c’est Paco.Everybody Knows.

Névrose de classe ?

Paco ? L’anti-héros, le justicier qui va essayer de retrouver les rançonneurs ( pourquoi soupçonner d’abord ses ouvriers agricoles ?). Le dindon de la farce qui se sacrifie. Par loyauté envers sa fille biologique ? Par amour pour son ex, tout simplement ? Au nom d’une névrose de classe ? Il ne se sent pas forcément légitime socialement. D’ailleurs, le père de Laura lui rappelle qu’il est le fils de leur domestique et l’accuse même de spoliation.

Certes les thèmes sont galvaudés (l’argent qui envenime les relations, la filiation… ), les signifiants parfois grossiers (gros plan sur les chaussures pleines de boue de la présumée kidnappeuse),  le scénario plus consensuel que dans les opus précédents  mais, de révélations en  fausses pistes, le cinéaste tricote quand même un thriller psychologique rythmé et habile.

L’amant double

Avec l’amant double, François Ozon propose un thriller érotique et digresse sur l’inconscient féminin, à partir d’un  scénario librement inspiré d’une nouvelle de Joyce Carol Oates. On repère  l’influence (trop) flagrante d’ Hitchcock, De Palma, Cronenberg, Lynch, Verhoeven. Si le film se laisse voir, il a des airs de déjà-vu.

Transfert contre transfert

Incipit : gros plan très intime d’une séance d’obstétrique. La féminité est au cœur du film. Chloé (Marine Vacth) a toujours mal au ventre. Sa gynéco lui conseille de consulter un psy. Paul (Jérémie Renier) l’écoute sans broncher raconter ses traumatismes d’enfance, ses parents abandonniques. Transfert contre transfert.  Lorsque la relation thérapeutique se transforme en relation amoureuse, ses symptômes disparaissent. Happy end : ils s’installent ensemble.

Le motif du double

Un jour, par hasard, la jolie névrosée croit reconnaître son amant dans un lieu improbable. Elle va découvrir qu’il s’agit du frère jumeau de ce dernier, Luc, lui aussi psy de son état – le motif du double se retrouve souvent dans la filmographie d’Ozon, de Swimming Pool à Dans la maison -.Est-elle victime d’un complot ?

L’ombre et la lumière

Elle devient la maîtresse de Luc. Mais il est aussi manipulateur que Paul est bienveillant. L’ombre et la lumière d’une même personnalité ? Ce  frère jumeau existe-t-il vraiment ou n’est-il que le fruit de  son imagination ? Rêve ou réalité ? Et si la vie était une fiction ? La schizophrénie hante le film. Ne sommes-nous pas composés de multiples instances ? Chloé doit-elle se confronter à ses propres démons pour retrouver son « soi » ? Se confronter à ses fantasmes ? (homosexualité, violence psychique…). Les reflets, miroirs et faux décors sont l’allégorie du trouble de Chloé et se confondent avec les œuvres d’art qu’elle surveille en tant que gardienne de musée, au Palais de Tokyo.

 

Les fantômes d’Ismaël ou les poupées russes

les-fantomes-dismael-affiche

Les fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin. Ismaël (Mathieu Amalric), réalisateur talentueux, essaie de finir son dernier opus, sorte de biopic sur son frère, Yvan Dédalus (Louis Garrel), curieux diplomate qui enchaîne les missions dans les régions les plus troubles du globe. D’où l’amorce insolite, en mode « film d’espionnage » ( j’ai cru un instant que je m’étais trompée de salle…).

A ses côtés, Sylvia (Charlotte Gainsbourg) qui partage sa vie depuis deux ans. Car Ismäel est considéré comme veuf : sa femme, Carlotta, est partie il y a vingt ans.

Soudain, Carlotta (Marion Cotillard) réapparait, troublante, bien névrosée, décidée à récupérer son mari. Sylvia, elle, plus saine, ancrée dans le réel, dit ses émotions, la tristesse, la colère, la peur et finit par s’en aller.

De Hitchcock à Joyce 

Desplechin bourre son film ou plutôt ses films (tant il y a de films dans le films) de références cinéphiles et littéraires (Vertigo d’Hitchcock, Ulysse de Joyce…)  et d’auto-références (clin d’œil à sa filmographie) à l’instar de son (anti) héros qui se bourre, lui, de médocs. D’ailleurs, les histoires se télescopent comme dans sa tête épousant les méandres de sa psyché (et de celle du cinéaste, rongé par l’angoisse ?). Les frontières entre réalité et fiction, présentes et passées se brouillent. Et se multiplient aussi les personnages secondaires.

C’est brillant, foisonnant. Un bel exercice de style à appréhender comme une allégorie ? La vie est un dédale (Dédalus), nos existences ne sont linéaires, la frontière entre création et folie ténue. Nous jouons plusieurs personnages, autant de facettes de notre personnalité.

Cependant pour le spectateur non averti ( la bande-annonce est trompeuse), le scénario peut sembler bavard, incompréhensible. Le motif que l’on croyait principal (le trio amoureux) semble se noyer dans ce labyrinthe diégétique. Pas de respiration. Trop de mises en abyme tuent la mise en abyme ?

 

 

 

 

L’amant d’un jour

l'amant d'un jourL’amant d’un jour de Philippe Garrel, présenté à La Quinzaine des réalisateurs à Cannes où il a obtenu le prix SACD (Société des Auteurs Compositeurs Dramatiques) ex-aequo avec Un beau soleil intérieur de Claire Denis.

Une jeune fille descend les marches d’un escalier crade et retrouve son amant dans les toilettes de la fac, une autre, en pleurs, monte ces mêmes marches pour « rentrer » chez son père. En deux séquences et deux cris (l’un de plaisir, l’autre de douleur), le spectateur découvre Ariane et Jeanne.  Elles vont vivre provisoirement sous le même toît/toi. Ariane (Louise Chevillotte) solaire, charnelle, est dans l’instant présent, la jouissance, Jeanne, (Esther Garrel), l’affective, reste « scotchée » à sa rupture amoureuse. Ariane est la nouvelle maîtresse de Gilles (Eric Caravaca), Jeanne, sa fille. Elles ont le même âge. Elles vont se  soutenir mutuellement, unies par une sororité bienveillante, rohmérienne, face à l’homme. Entre désir et filiation, sous fond d’Oedipe. Elles partagent leurs fringues et leurs secrets : tentative de suicide de Jeanne, photos compromettantes d’Ariane.

Fragilité amoureuse 

Philippe Garrel semble faire  toujours le même film sur la fragilité amoureuse et c’est pourtant chaque fois singulier, magnifique.  Gilles évoque la fidélité avec Jeanne mais aussi avec Ariane. Il comprend qu’elle puisse le tromper avec un homme plus jeune (il a l’âge d’être son père) mais il ne veut pas le savoir. Mais dans la réalité, lorsqu’Ariane passera à l’acte, il en sera autrement. Car les personnages de Garrel sont pris dans leurs contradictions.

Il ancre ce marivaudage en noir et blanc entre conscient et inconscient. Les actes manqués, les non-dits, les regards viennent nourrir un discours minimaliste, au premier abord. L’Amant d’un jour vogue sur des vagues de tristesse. Une apparente douceur dissimule les chagrins. Ou est-ce le contraire ? L’humour, filigrané dans le récit, aide à  atténuer les chagrins.  Le désespoir est éphémère. De la douleur à la douceur.

In fine, le couple qui faisait l’amour dans la première scène a fait place à un autre couple s’embrassant dans le dernier plan. Une histoire redémarre,  une autre finit. Gilles a quitté Ariane, Jeanne a retrouvé son compagnon. Celle qui pleurait retrouve l’espoir, l’autre pleure à son tour.

 

 

 

Tempête de sable

36398-temp_te-de-sable-_-vered-adirSélectionné au Festival de Berlin, Grand Prix au Festival de Sundance, six Ophirs (l’équivalent israélien des Césars), Tempête de sable est le premier film de la cinéaste israélienne Elite Zexer.

L’entame : une jeune fille voilée, Layla (Lamis Ammar) conduit une camionnette sous l’œil complice de son père, Soulimane, (Hitham Omari). On se demande d’ailleurs, s’il ne s’agit pas d’un couple. Ils rentrent chez eux, dans un village de bédouins, au sud d’Israël, à la frontière de la Jordanie. Aujourd’ hui, justement, Soulimane prend une deuxième épouse. Et ce n’est certainement pas innocent si on passe d’une scène père/ fille à une scène père/nouvelle femme, puis père/première femme.

Jalila, la première épouse, elle, ronge son frein. Elle s’affaire pourtant pour préserver la tradition mais aussi, sans doute, son rang social. Découvrant dans le même temps que Layla est amoureuse, elle va muer sa tristesse en colère. L’une est délaissée, l’autre, aimée. Une émotion peut en cacher une autre. Elle interdit à Layla de revoir le jeune homme et même d’aller à la fac. Par jalousie inconsciente ou par convention ? Peut-être, à contrario, pour protéger sa progéniture du courroux paternel.

Layla, elle, se rebelle. Tient à vivre sa vie. C’est le choc des cultures. L’impossible cohabitation. D’un côté cette communauté close sur ses névroses, de l’autre, l’extérieur, la modernité.

Les rapports entre la mère et la fille, violents, dans la rivalité, s’adoucissent, se nuancent au fil du récit. La matriarche autoritaire devient plus protectrice.

Douloureuse zone de confort

A l’inverse, le père révèle sa rigidité. S’il avait l’air assez permissif au début, il impose un époux à Layla, à son insu, sans état d’âme. « Quand te décideras-tu à faire ce que tu veux ? » lui suggère sa première épouse. Il se dit contraint de se conformer à l’ordre social. Il est indécis, fragile, passe de la résignation à la brutalité.

Est-ce par loyauté envers sa cellule familiale, par stratégie pour sauver sa mère, par peur de la liberté nouvelle, que Layla renonce à l’amour et se résigne à rester parmi les siens, dans une douloureuse zone de confort ?

Si le thème de la condition de la femme au Moyen-Orient n’est pas original en soit, il est traité avec beaucoup de subtilité, d’esthétisme, de sensibilité. Aucune interprétation, aucun bavardage, c’est au lecteur de choisir et ressentir les multiples facettes des personnages. Touchants dans leurs contradictions.

 

La chevauchée fantastique

continuerm365735Continuer de Laurent Mauvignier. Le verbe à l’infinitif donne la tonalité du récit. L’auteur nous propose un voyage initiatique, cinématographique, un roman d’aventure et d’amour.

L’incipit ? Une scène d’action en Asie centrale : des voleurs attaquent une mère et son fils. Un couple les sauvent et les hébergent. S’ensuit la traversée d’un marais, dans lequel leurs chevaux s’embourbent, manquent de mourir.

Tout le long du récit, les mots de l’auteur sont haletants, généreux, débordants, d’une intensité cinématographique. Plans-séquences comme dans un western. Le discours indirect, l’emploi du monologue intérieur restituent précisément les sentiments.

Par des allers-retours entre présent et passé, on comprend qu’un instinct de survie a poussé Sybille à sauver son fils, ado perturbé, et à se sauver elle-même. Elle qui traînait sa déprime, alcoolique et sans désir en France, elle a imposé un projet insensé : un trek à cheval dans les montagnes du Kirghizistan. L’expédition de la dernière chance. L’énergie du désespoir. Le dépaysement et le mouvement permettent-il de se réparer ? De se réconcilier ? De rétablir le lien filial ?

Colère et peur de se diluer en l’autre, de devenir l’autre

« Continuer » est un touchant double portrait qui se dessine à travers le regard croisé du fils sur la mère, et inversement. Regard qui s’adoucit, paradoxalement, au contact d’un monde rude, sauvage, révélant sous la dépression de Sibylle une femme idéaliste capable de soulever des montagnes, et derrière le crâne rasé de Samuel, douceur et sensibilité. Jusque-là, la colère et la peur « de se diluer en l’autre, de devenir l’autre », animaient Samuel. Tenté par l’extrémisme, il idéalisait un père absent et jugeait sévèrement sa mère (pour fuir un climat incestuel ?). Victime de la mésentente de ses parents, d’un jeu pervers inconscient, réduit à un enfant-objet (de chantage).

La beauté du monde a un pouvoir de transformation. « Et c’est comme s’ils voyaient le ciel étoilé pour la première fois, tant il semble vaste, large, profond, réellement infini ». S’occuper des chevaux rapproche Samuel de sa mère « il la regarde avec l’envie de lui sourire – et peut-être même que depuis tout à l’heure il lui sourit vraiment, comme un fils peut sourire à sa mère, avec pudeur et amour, avec une forme de tendresse et de complicité qui se passe de mots parce qu’elle les contient tous dans le secret d’un sentiment qui les dépasse ». Il comprendra que Sybille n’est pas seulement une mère, elle est aussi une femme.
Petit à petit, par bribes, l’histoire de vie de Sybille se précise. Ambitions, amours, drames, déceptions, renoncements.

Lors d’une pause au bord d’un lac, Sibylle contemple le corps de son fils endormi. Elle dessine « une caresse qu’elle n’ose pas faire pour ne pas le réveiller ». Et plus tard, Samuel près de sa mère à l’hôpital n’ose pas la toucher « pas encore » et se contente d’écouter son soufflle. De même, Sybille avait « osé » écouter la musique de son fils ? (Heroes de Bowie). Samuel « ose » lire son carnet de voyage.

La dernière partie du roman est une conclusion/résolution : mère et fils ont conjuré leurs angoisses existentielles. « Aller vers les autres c’est pas renoncer à soi ». Telle est la leçon que Samuel aura comprise et, ainsi, il va murmurer à sa mère son envie de continuer le voyage avec elle.

Amour

Amour et le mal de pierre
Le mal de pierre, de Nicole Garcia. On croirait une adaptation d’une œuvre de Flaubert ou Maupassant. Il faut dire que la merveilleuse et sensible Nicole Garcia est très classique tant le choix de ses thèmes que dans leurs traitements. Tiré du roman Mal di pietre de Milena Agus, ce film romanesque et fantastique, tout en flashback, n’en demeure pas moins touchant.

Gabrielle (Marion Cotillard) semble border – line oui bi-polaire ou hystérique. Sensuelle, exaltée, extrême. Cela dérange. On la considère comme folle. Elle fait peur à sa mère (Brigitte Roüan) qui la menace de l’interner et finalement la marie à José (Alex Brendemühl), un employé agricole catalan. Il a de l’avenir : il veut devenir maçon. Gabrielle ne l’aime pas et lui dit. Alors, José va voir des prostituées. Malheureuse auprès de ce mari, elle rêve que de « la chose principale » : vivre une passion dévorante et réciproque.

Projection de l’héroïne
Elle part soigner son « mal de pierre » (calculs rénaux ou colites néphrétiques) dans une station thermale en suisse et tombe sous le charme d’un bel officier, André Sauvage (LouisGarrel) qui a contracté une maladie lors de la guerre d’Indochine. Ses jours sont comptés. Ils fuiront ensemble, elle en est certaine.Une relation naît de cette rencontre puis, le spectateur apprend (par une pirouette improbable et maladroite) que ce n’était qu’une projection de l’héroïne, un fantasme. Un rêve. André et José semblent aux antipodes. Pourtant, tous deux ont connu l’horreur de la guerre (métaphore de la virilité). Pour l’un, il s’agissait d’un engagement militant, pour l’autre, d’un métier. Les deux hommes cristallisent deux conceptions de la relation de couple : l’un est dans la fulgurance, l’autre, dans la construction. C’est cette seconde, plus modeste, raisonnable et bien réelle, qui triomphera.

Bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=n2D_0kTs4cE

Des maux pour le dire

Des maux pour le dire - Affiche du film La fille inconnueLa fille inconnue des frères Dardenne. Comme Rosetta (Emilie Dequenne) en quête d’un job, Samantha (Cécile de France), la coiffeuse qui ne voulait pas abandonner le gamin à vélo, Sandra (Marion Cotillard) qui sonnait chez ses collègues pour les persuader de renoncer à leur prime et lui permettre de garder son emploi, voici Jenny (Adèle Haenel), une jeune médecin. Encore un beau portrait de femme-courage.

Plus fort que ses émotions
Le cadavre d’une jeune black sans papiers qui avait sonné à son cabinet sans qu’elle lui ouvre a été retrouvé sur les quais de la Meuse. Faute d’avoir pu la sauver, Jenny va s’acharner à restituer son identité. Sa détermination va révéler les symptômes de la culpabilité et de la honte chez elle mais aussi chez les personnages qui gravitent autour de son cabinet, expiant d’eux-mêmes leur maux afin d’avancer et de prendre les bonnes décisions.
« Tu dois être plus fort que tes émotions si tu veux bien soigner », explique-t-elle à son stagiaire, bouleversé devant la crise d’épilepsie d’un enfant. Le scénario naturaliste met en exergue les liens qui se tissent peu à peu entre les gens. C’est un peu binaire. Au début un brin arrogante, Jenny devient bienveillante. Son humanité et sa douceur se dessinent peu à peu, son désir de justice, sa simplicité. Elle magnifie le quotidien. Toujours debout et droite pour s’adresser à ses patients, elle est, dans les derniers plans, assise.

Elle renonce à un poste dans une clinique privée pour ne pas quitter son quartier populaire. Entièrement dévouée à ses patients.
A l’écoute des corps, de la souffrance, des signes de somatisation de tous ceux qui sont mêlés au décès de l’inconnu (un pouls qui s’emballe, une crise de vomissement, une douleur à l’estomac…), jenny mène l’enquête.
Cette enquête, un peu piétinante, n’est finalement qu’un prétexte. L’essentiel n’est pas la mort de la victime que personne semble connaître que la réaction de chacun face à l’événement.

la bande-annonce: https://www.youtube.com/watch?v=yz7MUtFCYdA

Le temps qui reste

le temps qui reste - Affiche du film Juste la fin du monde Juste la fin du monde de Xavier Dolan. Je ne suis pas fan du théâtre filmé. Pourtant, le huis clos est ici bien assumé comme dans « Tom à la ferme », (le film est tiré de la pièce éponyme de Lagarce, écrite en 1990, légèrement datée). Un jeune écrivain, malade (Gaspard Ulliel) rentre dans sa famille après douze ans d’absence, pour annoncer sa fin prochaine. Et n’y arrive pas. Toutes les névroses familiales se rejouent, les frustrations de chacun s’exacerbent, les jalousies fratricides. Une dernière fois. Chacun parle beaucoup pour cacher l’essentiel. On retrouve la honte de soi et le déni, motifs qui infusent tous les films de Dolan.

Silence des non-dits
Lorsque l’hystérie se crie, le silence des non-dits est plus terrible encore. Dolan prend le temps de mettre en valeur ses personnages/acteurs. Toujours seuls ( la caméra va de l’un à l’autre, sans jamais filmer le groupe). Sous le doux regard de Louis, il y a le grand frère beauf (Vincent Cassel) comico – tragique, la mère toute fébrile et même folle tout court (Nathalie Baye, méconnaissable, peinturlurée), la belle – soeur effacée et sensible (Marion Cotillard) qui seule flaire le drame et la petite sœur bienveillante(Léa Seydoux).
Seul bémol : la langue de Lagarce faite de subtilités linguistiques n’est pas exactement restituée. Elle est un peu amoindrie, comme parasitée par le psychodrame. Les ajouts lexicaux vulgaires (surtout dans la bouche de Vincent Cassel) sont parfaitement inutiles. Et quid du monologue final de la pièce ?